Mon métier de thérapeute m’amène à travailler régulièrement avec des patients en deuil. J’accorde (en tous cas je l’espère !) beaucoup de place à l’ empathie durant mes séances. Mais ces patients endeuillés méritent une attention toute particulière. Ils laissent tous de leur passage la même impression : l’anéantissement , le besoin d’être entourés et compris !
Entre autres , je citerai Marie-Michelle, dévastée par la disparition brutale de Bernard, son cher époux , après un accident de la circulation. Anthony, son « fils de coeur », pour lequel le temps semble s’être figé. Claire, dont la fille est décédée à 20 ans. Jean, anéanti par le suicide de son épouse. Johnny qui a vu sa femme agoniser devant lui suite à un anévrisme. Et tant d’autres. Quand le premier échange entre une personne endeuillée et moi-même commence, ce sont toujours les larmes qui s’installent, la douleur extrême qui les empêche de dire, de parler, de s’exprimer Le deuil est encore bien tabou dans notre société. Les idées pré-conçues selon lesquelles « le temps fait bien son oeuvre » prédominent. Si le temps permettra assurément d’adoucir cette blessure, il faut bien concevoir que la vie, elle, ne sera plus jamais comme avant ! Le deuil est un PROCESSUS, pas une histoire de timing.. chacun a son propre tempo. Il s’agit déjà de reconnaître la réalité: la reconnaître pour pouvoir l’accepter. Accepter ce qui se joue en SOI : ce flot d’émotions, la colère, la profonde tristesse (et le mot est faible), la peur. En parler pour les reconnaître et ne pas chercher à les fuir..Ne pas être dans l’évitement , parce que « tout ce à quoi on résiste, persiste ». Laisser la douleur venir à notre rencontre, voilà la première étape nécessaire et incontournable du processus de deuil.
Une partie de nous est blessée à tout jamais, on ne pourra jamais l’enlever
Il existe en revanche une intelligence en nous qui vient faire une place à cette partie blessée, pour nous permettre de continuer à exister. On survit, on fonctionne comme des zombies, il nous semble même qu’on devient fou. Mais le processus de deuil est une protection. Sans lui, nous mourrions, c’est biologique ! Le processus de deuil n’est pas l’ennemi : l’ennemi, c’est la perte ! Le deuil en soi n’est pas violent, c’est la perte qui l’est.
Dans un premier temps, il s’agit de s’occuper de la cicatrisation avant d’aller vers la transformation du lien (passer du lien émotionnel au lien d’amour). La cicatrisation va se faire, même si nous en doutons à l’instant où nous vivonsla perte. La cicatrisation est inconsciente, elle se fait de toute façon. Si je me coupe, je peux prendre soin de cette blessure, laisser une infirmière lui prodiguer des soins. Ou bien je me dis que de toute façon, cette cicatrisation se fera d’elle-même, tôt ou tard. mais je prends le risque que la cicatrice soit très visible, chéloïde etc.
Le lien émotionnel (olfactif, kinesthésique, visuel..) se rompt. Que le lien ait été fort ou pas ne change parfois pas la brutalité du deuil à vivre. Parfois, on commence le travail de deuil avant le décès (en cas d’Alzheimer par exemple) On note des oscillations de l’humeur et des émotions au début très fréquentes. Le couple qui a perdu un enfant va devoir vivre avec les oscillations et chacun avance à son rythme. D’où les tensions possibles si le père propose une promenade alors que la maman endeuillée se sent plus perdue que jamais face à la perte de son enfant !
Si nous vivons la maladie d’un proche, si nous savons que celle-ci est incurable, nous allons nous préparer quelque peu à la perte de l’être aimé. La violence sera là mais nous allons pouvoir l’anticiper quelque peu.
Ou bien tout est serein et le choc terriblement brutal ! La rupture du lien émotionnel est extrêmement violente.
Il se peut qu’au début , nous soyons en prise à des cauchemars, des images intrusives.
Nous pouvons également nous mettre en état d’hyper vigilance : tension permanente en attendant le prochain coup .er. l’ épuisement s’installe.
Quand les images intrusives sont trop importantes, la digestion émotionnelle ne se fait pas correctement. Le cerveau lance le processus mais il y a un bug ! Sur le PTSD (Post Traumatic Stress Desorder) les médicaments ne fonctionneraient pas . Le plus intéressant serait les TCC et l’EMDR.. Je crois également aux bienfaits de l’hypnose dans le cadre thérapeutique.
Dans le cas d’une maladie incurable, il est à noter que l’accompagnement de fin de vie joue un rôle majeur . La douleur du malade est intolérable pour les proches. Le personnel soignant , en accompagnant le malade avec douceur dans les gestes, les mots, accompagne aussi les proches. La bienveillance doit être de mise. A noter l’excellent téléfilm sur le sujet du cancer : MA MERE, LE CRABE ET MOI avec Emilie Duquenne. Le débat qui y fait suite insiste bien sur la nécessité d’une prise en charge lors de l’annonce du cancer . Une oncologue présente sur le plateau, souligne que le médecin qui ne s’intéresse pas au patient en tant qu’être humain (avec tout le sens que cela comporte) est un « technicien ». Elle parle dans cette émission du temps qu’elle essaie de donner à chacun, de l’amour qu ‘elle ressent pour ces gens qu’elle soigne. Nul ne doutera que l’annonce du cancer est douloureuse, d’autant que le mot est automatiquement rattaché à la MORT .
Il s’agit d’exiger la même chose du personnel hospitalier qui accompagne le malade en fin de vie : une réelle qualité des soins. BIENVEILLANCE et EMPATHIE! Le processus de deuil s’enclenchera avec un peu plus de douceur quand on sait que l’être que nous aimions tant a été entouré de chaleur humaine, de douceur.. Ce type d’accompagnement permet d’alléger un tant soit peu la culpabilité, la colère.. avec un sentiment réel que tout a été fait pour que le défunt souffre le moins possible et se sente entouré.
Après le décès d’un proche, nous allons commencer à le chercher partout., et même nous surprendre à l’attendre.. Nous mettons des photos, nous recherchons son parfum , son odeur dans ses vêtements, nous ne touchons à rien dans sa chambre. Chacun a sa façon de répondre à ce besoin humain. Cela n’a rien de malsain. C’est totalement normal ! Il nous est désormais impossible d’entendre celui ou celle que nous aimions tant, alors nous appellerons peut-être sa messagerie . Certains ont même besoin d’écrire des sms …de porter ses pulls pour me sentir un peu plus proche de lui ou d’elle..S’asseoir sur son lit,passer du temps dans sa chambre.. C’est comme un besoin impérieux et il n’est pas malsain d’y répondre. Nous nous rendons sur sa tombe et lui parlons. Souvent surgit le besoin de pleurer, voire même d’hurler .Les larmes sont saines. Si la prescription d’un antidépresseur semble nécessaire, mieux vaudrait dans la mesure du possible, le conserver à un dosage anxiolytique afin de ne pas nous couper de nos émotions. Elles sont salutaires !
Après 6 mois, les odeurs s’effacent.. Le forfait téléphonique a été suspendu. Nous n’avons plus de support extérieur. Vient alors l’impression de perdre l’être aimé une seconde fois ! L’entourage se fait plus rare, il nous semble que les autres ont oublié L ‘absence et le manque sont toujours forts et on comprend alors que ce que l’on vit est IRREMEDIABLE !
On a moins le « droit de deuil » l’entourage pense que « ca devrait aller mieux maintenant ».. On désespère de cette vague à tonalité dépressive. Cela fait des mois que cela dure et on a pourtant la sensation de s’enfoncer.. Quand bien même on n’est pas seul, c’est bel et bien la solitude que l’on ressent . Cette traversée du désert, c’est à moi de la vivre.
Survient un jour le moment où l’on sent bien que ma vie , la vie en général ne sera plus jamais la même, mais nous sentons que le plus gros de notre peine est derrière nous.. Nous ressentons un peu plus d’apaisement, faire d’autres projets redevient peu à peu imaginable.
Je ne suis plus la femme, le mari de … Je ne suis plus la mère , le père de . Je ne suis plus ton frère ou ta sœur etc.. Mais alors qui suis-je ? Voilà l’étape par laquelle il me faut passer : la redéfinition de moi-même ! Arrive la phase de restructuration. On se reconstruit à cause de… ou grâce à…
Le manque existera toujours, la cicatrice ne peut s’effacer. En prenant soin de soi, on se donne davantage de chances qu’elle soit « belle »… Je reconnais le manque, je l’accueille et je traverse en fonction des différentes phases du deuil et à mon rythme, selon mon propre tempo. MAIS JE CHOISIS DE VIVRE , titre d’un magnifique documentaire sur la perte d’un enfant Et pourtant, combien de fois l’idée d’envie de mourir va-t-elle surgir ? Combien de fois entendrons-nous « A quoi bon ? Je veux mourir et venir te rejoindre ! ».. Ou bien je sens que je n’ai pas envie de bouger, de sortir. Mais je vais tôt ou tard comprendre que, même si je n’en ai pas envie, cela m’est utile.
A la date anniversaire de la mort de mon proche, je peux trouver un rituel apaisant : une réunion de famille, des bougies allumées toute une journée, un recueillement avec la famille et les amis les plus proches. Organiser quelque chose pour rendre hommage à celui/celle qu’on a tant aimé(e). Et au quotidien, installer des rituels qui me permettent de sentir que le lien d’amour, lui, est bien toujours aussi fort. Parler à son défunt, créer tout ce qui me vient pour être et me sentir en lien avec lui. Faire une recette en pensant à lui, parce qu’il aimait ce plat, par exemple, signifie que je continue à m’intéresser à ce qu’il/elle aimait. Parfois, certains peuvent penser que sortir de la souffrance est un signe d’oubli.. Mais ce n’est pas pourtant pas la souffrance qui fait perdurer le lien, d’où la nécessité d’ aider la personne endeuillée à valider son droit à un mieux-être.
Le processus du deuil demande à mon sens, un accompagnement thérapeutique. Pour ma part, je m’attache à écouter la douleur, à l’entendre et à encourager le patient à exprimer ses émotions. Travailler avec la personne endeuillée en lui suggérant, au moment opportun, des outils appropriés. L’hypnose en est un. Bien mené, je le considère puissant pour se « vider »du trop plein émotionnel .. . L’émotion est souvent considérée comme une ennemie ! Or, se soulager de tout ce bloc émotionnel, c’est soulager ce qui risquerait de demeurer enkysté. Et toujours selon le rythme propre à chacun ! L’inconscient SAIT le temps dont on a besoin pour intégrer, digérer. Il s’agit aussi d’apprendre à s’en remettre à lui.
Ecouter, entendre la douleur, permettre aux patients d’avancer avec bienveillance et douceur.. Telle est l’une des missions que je me suis fixée.
Un week-end sur la thématique du deuil avec le Docteur Christophe FAURE m’a permis de sentir à quel point cette mission prenait encore plus de sens. La connaissance du processus de deuil m’a ouvert encore plus de portes. La possibilité de mieux comprendre, de partager, de pouvoir « être
avec » comme le stipule le Docteur Fauré.
Cet article pour vous assurer que , même si à l’instant-même où vous me lisez vous en doutez , ce que je comprends et respecte, LA PAIX REVIENDRA DANS VOTRE VIE. Oui, la vie ne sera plus jamais la même ! Mais l’apaisement est au bout du chemin. J’ai envie de vous dire de tenir bon, d’accueillir, de traverser, de croire, de demander de l’aide.
Je dédie cet article à tous les gens qui souffrent et vivent le deuil, à ma mère dont j’honore le courage , à vous tous qui m’avez fait confiance en me demandant de l’aide.
Ceci est également un hommage rendu à mon Père, Michel, parti il y a un peu plus de 4 mois. J’honore son nom, sa personne . La vie n’est plus la même sans ce père auquel je dois beaucoup , mais je ferai en sorte, comme vous tous, que le lien d’amour soit beau .
A toi, Papa !
A tous nos chers disparus.
A Vous
A la Vie
et…
A l’Amour